Monsieur Basson. Partie I

Illustration réalisée par @brindilles_et_gribouillages

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[Attention, les récits de ce blog sont à caractère érotique mais cette partie de l'histoire ne comprend aucun acte sexuel.]

C'est la fin de journée, j'ai un dernier rendez-vous qui va m'achever, c'est sûr, je suis épuisée. Je ne serai jamais rentrée avant 18h00, j'ai rien à manger chez moi, je vais me faire livrer un truc de merde et ensuite pleurer pour mes kilos en trop. Chaque semaine la même rengaine.

"Demain tu vas courir ?" Je me répète inlassablement cette phrase à moi-même. Et puis le lendemain je me flagelle. Je ne l'ai pas fait, étonnant ? Il faut retrouver le goût de tout quand on a le temps de rien. Alors on continue d'attendre demain. Sûrement que ça ira mieux, demain. La devise de 2020, et 2021.

Je vais bientôt quitter mon travail, c'est comme ça que je tiens. J'ai écrit ma lettre de démission l'autre soir, je la garde pas loin, dans mon tiroir. J'ai laissé un espace pour la date, je la sortirai quand je la sortirai. Ça me réconforte de la savoir là.

L'interphone me fait sursauter, les yeux rivés sur mon téléphone, je m'étais perdue dans mes pensées. J'avais oublié, le dernier rendez vous de la journée. Je me lève pour ouvrir la porte.

- Bonjour
- Bonjour, Monsieur Basson, c'est moi que vous avez eue au téléphone.
- Enchantée, moi c'est Léna. Suivez-moi.
- Enchanté Léna.

Voilà mon dernier rendez-vous, un vieil homme à deux doigts de la retraite. Au moins il est souriant. J'espère qu'on va rapidement trouver un terrain d'entente. Je rêve de retrouver mon appartement, le bain chaud qui m'attend, des sushis, une bonne musique et passer la soirée à écrire.

Il fallait que cela tombe sur moi. Cet homme est bavard, on n'avance pas. Les gens bavards, est ce que quelqu'un aime vraiment cela ? Moi j'aime le calme, les mots bien choisis et efficaces. Je ne veux pas faire de digressions, juste trouver rapidement la réponse à nos questions.

Si monsieur Basson n'est pas avare en mots, il n'est pas avare en sourires non plus. Ses lèvres tendues dévoilent une belle dentition et accentuent ses rides. Il est pas mal pour un vieux. Quelle insolence... Heureusement qu'il ne peut pas lire dans mon esprit. La vieillesse c'est subjectif. Quand on vieillit c'est juste physique, pour le reste, c'est dans la tête.

Monsieur Basson n'est pas très grand, il a une carrure moyenne, sa chemise légèrement tendue par un ventre qui a un peu trop aimé la bière. Monsieur Basson est plutôt classe, il a les yeux très clairs, d'un bleu si clair, translucides presque. J'ai jamais vu ça. Je me surprends à m'y perdre.

- Léna ? Vous voyez ce que je veux dire ?

- Heu, non, pardon, vous pouvez répéter ?

- Les conditions pour contractualiser le mois prochain sont mauvaises. Je vois que vous avez anticipé beaucoup de choses, c'est du bon travail. Mais il vaut mieux attendre encore un peu.

- Oui, je comprends. J'aurais fait pareil à votre place, honnêtement. Je suis fatiguée, tout est tellement compliqué aujourd'hui.

- Je ne remet pas en cause votre travail, vraiment. Oui, tout est plus compliqué dans le contexte actuel.

Monsieur Basson est du genre bienveillant. Il a vu dans mes yeux le bain qui m'attend. Il pose un regard paternel et protecteur d'une grande douceur. Il me dit qu'il va me laisser, qu'on reprendra très prochainement ce dossier.

Pour se détendre un instant, on parle des restaurants qui nous manquent. Il me dit que celui qui lui manque le plus c'est le restaurant japonais dans la rue des marronniers, où il allait souvent manger des sushis. Incroyable, c'est là bas que je vais, enfin c'est là où j'allais. Ce soir j'en rêve. On rigole, nerveusement. Et puis on parle de tout, de rien, d'écriture, de littérature. On digresse, on s'égare. Et finalement, je l'aime bien ce monsieur bavard.

- Mais oui, j'adore Pierre Louÿs! J'ai commandé "les chansons de bilitis", je vais le recevoir très bientôt. J'ai hâte de le lire.

- Ce livre est merveilleux. Vous allez l'adorer.

Monsieur Basson n'est plus si vieux, quand il parle des choses que j'aime. Monsieur Basson, il me fait rire, il éveille mes sens. Je suis étonnée mais je sens en moi le désir monter. Est-ce qu'il le voit ? Est-ce qu'il le sait?

Je me surprends à faire ce truc si niais. Je passe ma main dans mes cheveux, des regards appuyés et tous les sourires que je lui rends volontiers. Quelle est la probabilité qu'on se rapproche ? Physiquement je veux dire. 0,1 de proba, à peu près.

Un rendez-vous professionnel avec un inconnu qui a deux fois mon âge, à 30 min du couvre-feu. Faut pas rêver non plus. Et puis, ce serait bizarre, non?

- Je devrais vous laisser, vous n'avez pas démérité aujourd'hui. Je vois dans vos yeux que la journée a été difficile.

- Oui, c'est vrai. Mais c'était un plaisir de discuter un peu, avec légèreté.

- De même. Vous savez, ce soir je vais commander des sushis, vous m'avez donné envie. Je penserai à vous.

- Je vais faire pareil, vous m'avez donné envie, vous aussi.

Silence.

Lourd.

Monsieur Basson, le très bavard, ne dit plus un mot, il me regarde. Chaque seconde sans parler en dit long sur nos intentions.

Monsieur Basson se lève, il range ses affaires dans sa sacoche, comme pour s'enfuir. Moi, j'ai le cœur qui bat très fort. Je me lève, prête à le saluer, poliment. Je ne sais pas pourquoi mais j'ai très envie de lui maintenant, il m'attire.

Toujours sans un mot, il s'approche, il me tend la main, je lui tends la mienne. Un frisson traverse ma nuque. On ne lâche pas, on serre les doigts, on reste comme ça. Collés.

Est-ce qu'il va bouger ? Je l'ai déjà dit, 10% de probabilité.

(°)

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