Celui qui cherchait du travail - Partie 1

Aperçu

Partie 1 : Premier Rendez-vous

J'avais rendez-vous à 15h45. Il est 16h, je suis à Pôle-emploi. Ou je devrais plutôt dire France travail. Il suffit de traverser la route qu'il disait, pour en trouver.

Elle arrive désabusée, elle libère le bénéficiaire précédant avant de dire mon nom à haute voix. Nous sommes cinq idiots à attendre bêtement que quelqu'un vienne nous dire comment trouver du travail. Ou plutôt vérifier qu'on est bien en train d'en chercher. Je me lève, annonçant ainsi que c'est moi, le dénommé Sylvain Piret.

— Suivez-moi, dit-elle froidement.

Je la suis. Je sens que je suis tombé sur une personne aimable. C'est bien ma veine. On s'assoit à son bureau qui ne semble pas vraiment être le sien puisqu'elle râle de ne pas trouver ce qu'elle cherche et semble bousculée dans ses habitudes.

— Désolée, on change constamment de bureau, la personne avant moi a dû partir avec les agrafes, normalement on les laisse dans le tiroir. Bref.

— Pas de problème, je réponds pour la rassurer. Normalement j’ai toujours un paquet d'agrafes pour dépanner, mais pas aujourd’hui.

Elle sourit brièvement pour me faire plaisir, qui aurait envie de sourire à une blague aussi débile ? Reprenant son sérieux elle me déroule l'objectif de notre rendez-vous, elle me fait un speech sur les changements de 2024, puis elle enchaine les questions. Il n'y a pas de piège, je le sais, mais vraiment je me sens jugé par ce lieu, par ces bureaux de France Travail, parce que je ne travaille pas.

Son regard ne s'est pas particulièrement adouci depuis le début du rendez-vous. Sa grande mèche blonde vient régulièrement cacher la moitié de son visage et elle répète inlassablement le petit geste de la remettre derrière son oreille. Elle est jolie sérieuse et en colère. L'est-elle autant joyeuse et légère ? Certainement. Mais je m'amuse à apprécier ses traits durs, ses sourcils froncés et son regard inquisiteur, ses joues roses et ses lèvres pincées.
On fait le tour de mes expériences professionnelles, de ce que je recherche pour la suite, des objectifs, de mes capacités à chercher seul, à faire mon CV, ma lettre de motivation. Elle me propose des ateliers d'accompagnement qui me donne plus l'impression que je vais retourner à l'école plutôt que retrouver du travail. C'est hors de question, je sais le faire seul.

— Bien comme vous voudrez, ce n'est pas obligatoire mais je suis obligée de le proposer à tout le monde.

— Je comprends bien. J'ai toujours retrouvé du travail très facilement, ne vous fatiguez pas trop pour moi, je vais m'en sortir.

— Bien. Mais c’est mon travail vous savez, de vous accompagner. On se revoit le mois prochain. Notez les offres auxquelles vous avez postulé, on fera un point et n'hésitez pas à m'écrire si vous avez des questions. Sur votre espace demandeur d'emploi. Je réponds par ordre d'arrivée des messages et j'ai plusieurs jours de décalage étant donné la quantité de mails donc patientez quelques jours pour avoir une réponse...

Elle n'a pas le temps de finir sa phrase qu'un collègue l'interpelle.

— Victoire !

— Oui ?

— Tu vas changer de bureau, vas dans le 42 s'il te plait, on a un technicien qui doit regarder l'ordinateur du 47.

— Maintenant ?

— Oui, dès que tu changes de rendez-vous.

Elle s'excuse auprès de moi d'avoir coupé notre échange. Je sens de nouveau la colère dans ses yeux. Ses joues deviennent rouges, elle est de plus en plus jolie. Toutes les expressions qui se dégagent de cette fille. Je ne sais pas ce qui me prend de poser ce regard admiratif, presque séduit, sur elle. Et petit à petit, pendant qu'elle me parle, je l'imagine exprimer sa rage dans le sexe. Avec des mouvements brusques, vifs, qui blessent et qui plaisent. Elle serait incapable de se contenir, de rien, la colère est un ouragan et le plaisir aussi, finalement ils vont bien ensemble. Victoire en furie, nue, explosant de rage et de jouissance. Je rêve.

— Monsieur Piret ? Vous pensez que c'est possible pour vous comme cela ?

— Oui oui, dis-je alors que je n'ai pas écouté un mot de ce qu'elle vient de dire.

— Bien, nous en reparlerons le mois prochain alors, vous recevrez bientôt une demande de rendez-vous. Toujours sur votre espace "demandeur d'emploi"

— C'est là que tout se passe !

— Vos avez tout compris Monsieur Piret.

Elle est à moitié avec moi, elle m'a à peine regardé de tout le rendez-vous, trop concentrée à remplir les cases dans son ordinateur et à ruminer ce boulot qui a l'air de la gonfler. Le comble pour quelqu'un qui aide les gens à chercher du travail, ne pas aimer le sien. Si elle démissionne, elle se retrouve à ma place. Je souris bêtement.

Le rendez-vous est terminé. Elle rassemble ses affaires, elle doit changer de bureau. Elle attrape d’une main son manteau et son sac calé sur le dossier de la chaise, des documents dans l’autre main. Elle m'invite à la suivre avec le même détachement qu’à l’allée et je ne sais pas par quel moyen elle se prend le pied dans le seuil de la porte, elle s'étale par terre, son sac avec, laissant jaillir une bonne partie de ses affaires dont cette petite chose qui se mets à rouler, attirant toute l’attention sur elle.

Tout se passe au ralenti, elle me regarde et elle voit que j’ai vu. En une seconde la colère laisse la place à la honte. Elle me regarde pour la première fois depuis qu’elle est venue me chercher. Enfin elle regarde qui je suis, qui est cet homme qui vient de découvrir une part de son intimité qui roule dans le couloir. J’imagine qu’elle voudrait revenir en arrière et que cela n’arrive jamais. Mais c’est arrivé. Je n’ose pas lui sourire de peur qu’elle prenne cela pour de la moquerie. Alors je l'aide à se relever et je feins l’indifférence alors que je suis troublé. Elle se précipite pour rassembler ses effets personnels dans son sac, et elle attrape le joli plug chromé avec un diamant violet qui continuait sa course sur le lino en imitation parquet.

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