Le jeu du train - 2ème compartiment
2ème Compartiment
Elles ne sauraient pas dire comment le jeu a pris cette tournure, cela s'est fait naturellement. Mais tout de même, si on devait identifier le moment où il a pris un tournant, c'est dans le deuxième compartiment. Alors que le train file de village en village, c'est Émilie, la plus spontanée des deux, qui décide de faire monter la mise. Son regard pétille d'une lueur malicieuse, un sourire espiègle aux lèvres.
— Claire, tu vois cet homme là-bas ? murmure-t-elle, comme si elle s'apprêtait à révéler un secret précieux.
Claire suit le regard de son amie et aperçoit un jeune homme, assis à quelques sièges de là, plongé dans la lecture de son roman. Il dégage une élégance tranquille, presque nonchalante, et possède cette beauté discrète qui semble échapper aux regards ordinaires. Le genre de personne que Claire n'aurait jamais osé aborder, même dans ses pensées les plus téméraires.
— Je te mets au défi d'aller lui dire qu'il est beau. Mais pas n'importe comment. Tu dois le faire de manière directe, sincère, sans prétexte. Et surtout, en le regardant droit dans les yeux, ajoute Émilie, un brin provocante.
D'habitude, c'est Claire la plus réservée, celle qui préfère rester en retrait, observer de loin les aventures des autres. Mais ce soir-là, quelque chose de différent vibre en elle. Peut-être est-ce l'adrénaline, peut-être le charme particulier de cet inconnu ou bien l'audace contagieuse de son amie. Peu importe la raison, Claire sent une chaleur inhabituelle l'envahir, et son esprit joueur accepte le défi sans hésiter.
Elle ajuste son manteau et se lève lentement, son cœur battant à tout rompre. Chaque pas qui la rapproche du jeune homme intensifie cette sensation de vertige. Un mélange d'assurance et de timidité la guide alors qu'elle traverse l'allée, comme si chaque hésitation alimentait sa détermination. Arrivée à sa hauteur, elle marque une brève pause, inspire profondément, puis se penche légèrement vers lui, un sourire doux aux lèvres.
— Excusez-moi, je voulais juste vous dire… vous êtes vraiment beau.
La simplicité et la sincérité de ses mots flottent un instant dans l'air. Le jeune homme, surpris, lève les yeux de son livre. Ce qu'il voit dans le regard de Claire le déstabilise un instant. Un sourire discret mais authentique se dessine lentement sur ses lèvres.
— Merci… murmure-t-il, visiblement pris de court mais touché.
— Je suis dans le compartiment juste après… si jamais.
Ne lui laissant pas le temps de répondre, elle se détourne avec une grâce calculée, et sans un regard en arrière, avance d'un pas décidé vers le prochain wagon. Émilie, restée en retrait, n'a rien manqué de la scène. Elle se hâte de rejoindre Claire, impatiente de découvrir ses impressions.
— Alors ? C'était comment ? demande Émilie, excitée.
— C'était… exaltant, répond Claire en riant, encore un peu rouge d'émotion. Je n'aurais jamais pensé oser ça ! En plus, j'ai rajouté quelque chose qui n'était pas dans le deal de départ. Je lui ai dit que j'étais dans le wagon d'après, si jamais...
Émilie n'en revient pas de l'audace grandissante de son amie, pourtant la plus timide des deux. Elle la regarde, intriguée, se demandant ce qui a pu provoquer ce changement chez Claire. Peut-être simplement le plaisir de voir l'imprévu se dérouler sous ses yeux, de jouer avec les réactions des autres tout en restant dans une zone subtile, entre provocation et amusement.
— Et moi qui croyais que j'étais la plus téméraire de nous deux ! s'exclame Émilie. Tu es encore plus folle que moi, en fait !
Claire rit et la pousse du coude, emportée par l'euphorie du moment, sentant en elle une transformation subtile mais puissante. Les deux amies avancent dans le couloir étroit du train, portées par cette énergie qui semble repousser toutes les limites. Chaque pas, chaque éclat de rire, les rapproche d'un monde où les règles sociales importent moins que l'instant présent, où tout devient possible.
— À mon tour de m'amuser... murmure Émilie, un frisson d'excitation parcourant son échine.
— J'espère que tu es prête, parce que j'ai une idée pour la suite. Et crois-moi, c'est encore plus osé que tout ce qu'on a fait jusque-là, lance Claire avec un regard provocateur.
Émilie la fixe, éberluée par cette nouvelle Claire. Alors que le train continue sa course, le paysage flou défile à toute allure à travers les fenêtres. Émilie, galvanisée, appuie sur le bouton du troisième compartiment. La porte s'ouvre, et un souffle d'air frais les enveloppe alors qu'elles franchissent le seuil, l'adrénaline montant encore d'un cran.