Ce cher Robert - Partie 1
Partie 1
Six mois. Il paraît que le nombre d'années passées en couple correspond au nombre de mois nécessaires pour se remettre d'une rupture. J'essaie de m'en convaincre, mais j’ai quelques doute sur cette théorie. Six ans ensemble, et cela fait six mois qu'on est séparés. Et pourtant, certains jours, c’est comme si c’était hier. Je regarde l’écran de mon téléphone, cet écran qui me nargue, et je me décide enfin : j’installe cette fameuse application de rencontres, celle dont tout le monde parle, celle qui s’apparente à un grand supermarché de mâles en quête de… De sexe, de connexion, d’une validation peut-être. Là où chaque profil est comme un produit en rayon, prêt à l’usage.
Mais en vérité, je veux autre chose. Je veux me sentir belle, désirable, intéressante. Je veux retrouver ces petits moments qui semblaient autrefois anodins : les sourires volés, la chaleur d’un regard, le frisson d’un frôlement, les blagues bêtes auxquelles on rit malgré nous, le jeu de mes mains dans mes cheveux quand je sens son regard se poser sur moi. Oui, je veux qu’il y ait ce quelque chose, un peu magique, un peu spontané, qui rend chaque seconde avec l’autre intensément vivante.
Je me prends à rêver d’un inconnu qui aurait ce "je-ne-sais-quoi", ce charme un peu brut et rassurant. Ce serait peut-être un sourire en coin, une répartie impertinente, ou une façon d’être dans le monde qui m'attire, m’enveloppe, et me fait fondre. Je veux sentir sa peau contre la mienne, me noyer dans sa présence, le désirer avant même de l'avoir vu. Alors oui, je veux du sexe. Mais pas seulement, pas n'importe comment, et pas avec n'importe qui.
Avec ce mec, oui, peut-être. Mais il n'existe pas encore. Il faut que je le trouve.
Je commence mes recherches un samedi après-midi, un moment de la semaine où la vie sociale suit un rythme bien rodé. Ceux en couple sont au cinéma, main dans la main avec leur moitié, et les jeunes papas gèrent les siestes des petits. Pendant ce temps, les célibataires décuvent de la soirée de la veille, leur téléphone à portée de main, à la recherche d’une rencontre pour le soir-même. C’est dans cette population-là que je vais piocher. Je me sens prête… ou presque.
Je me crée un profil, mais pas trop authentique : j’utilise une photo de moi datant de quatre ans. C’est la seule où je me trouve jolie, et à l’époque, j’étais blonde. Si un match se forme, j’expliquerai que j’ai juste changé de couleur de cheveux depuis. Pour la description, quelques mots suffiront. Après tout, qu’est-ce qu’on attend de moi ici ? Je choisis quelque chose d’à la fois vrai et un peu désinvolte : "Je n'ai peur de rien, à part de tomber amoureuse". Je ne sais pas si c'est engageant, mais ça a au moins le mérite d’être honnête. C'est parti. Je me sens prête à voir défiler les profils, prête à faire ma petite sélection.
Je scrolle, je swipe, je critique. Je suis une vraie peste, mais seule dans mon salon, je n'ai pas honte. Trop musclé. Pas assez de barbe. Celui-là ne met que des photos avec un bonnet : assumons la calvitie, bordel ! Trop bizarre. Trop sérieux. Trop jeune. Trop bourgeois. Trop... schlag. C’est amusant, en fait, comme tous sont "trop" quelque chose. Mais jamais trop bien, jamais juste ce qu’il faut. Je ne me contente de rien. L'internet me donne ce sentiment que tout est remplaçable, zappable, à l'infini : pourquoi m'arrêter là quand je peux peut-être trouver encore mieux juste après ? Alors, je zappe. Comme une chaîne de télé, comme un feed de reels sur Insta. Et à force de swiper, je me perds.
Puis, après une heure de dédain et de jugement, mon œil s’adoucit devant un profil qui me plaît. Il n’est pas parfait, mais il a quelque chose. Petit à petit, je finis par en liker quelques-uns, presque timidement, puis, gagnant en assurance, je me dis “Pourquoi pas ?” pour celui-ci, et puis aussi pour celui-là. Après tout, pour savoir, il faudra bien échanger quelques mots, se tester. Même si ce n'est que pour baiser, je ne me vois pas sauter le pas sans que le mec ait un minimum de conversation, de quoi éveiller un intérêt. Si je veux rire à ses blagues et me sentir charmée, il en faut un peu dans la caboche!
J’engage une dizaine de discussions, et là, je me sens submergée. J'ai l’impression d’être un ministre débordé, gérant tout un tas de correspondances à la fois. Je jongle entre les prénoms, je me mélange : Thomas devient Louis, Carl devient Stéphane. Je raconte dix fois la même histoire, en essayant de m’investir un peu. Mais honnêtement, je n’y arrive pas. Je ne ressens rien d’autre qu’un effort éreintant pour maintenir l’illusion de l’intérêt.
Quand je finis par éteindre l’écran, il est tard, et je suis épuisée. Ces mecs-là, ce sont des cases cochées, des pixels charmants, mais des fantômes au fond. Non, ceux-là, je n’en veux pas.
Le dimanche matin, je recommence. Encore à moitié endormie dans mon lit, les yeux collés, j’attrape mon téléphone pour relancer l’application. C’est la première chose que je fais, comme une routine un peu honteuse. Il est à peine 8h, et déjà, un match : un certain Robert.