La noyade
Je passe mes journées au soleil. Ma peau est si dorée que sa couleur approche celle du caramel. C’est mon travail de rester assise sans bouger, d’observer et de surveiller. Cela peut paraître ennuyeux, mais pour moi ça ne l’a jamais été. J’aime profondément mon métier.
9 jours sur 10, personne n’a besoin de moi. Je me contente de rappeler à l’ordre certains jeunes qui courent au bord de la piscine alors que cela est interdit. Aujourd’hui on était le jour 10, celui qui me sort de la routine, celui où je deviens utile. Ça fait plusieurs minutes que je faisais attention à cet homme, je sentais son appréhension de l’eau et son manque d’assurance depuis mon siège d’observation. Je jetais un œil sur lui régulièrement quand soudain un groupe de jeunes sautent en faisant des bombes, créant un certain remous et des éclaboussures près de lui. L’homme reçoit de l’eau dans les yeux et a du mal à retrouver ses repères, il cherche à regagner le bord, il s’agite et panique avant de commencer à boire la tasse.
En quelques secondes, je suis dans l’eau. J’arrive jusqu’à lui, je plonge pour l’attraper, car il a commencé à couler. Je le tire à la surface et le plaque contre moi, visage face au ciel et je nous ramène sur le bord de la piscine à la force du battement de mes jambes et en le tenant fermement contre ma poitrine.
Une fois sur la terre ferme, il tousse et crache de l’eau. Je l’aide à récupérer et je le rassure. Je demande aux curieux de s’éloigner, je respire un grand coup, soulagée.
— Monsieur, est-ce que vous allez bien ?
Il ouvre les yeux qu’il pose sur moi, sans me lâcher une seconde, il esquisse un léger sourire.
— Je vais bien merci. Je crois que j’ai eu très peur.
— Bien sûr, je comprends. Je vais vous aider à vous assoir, prenez votre temps pour récupérer.
Je l’accompagne jusqu’au banc le plus proche et je lui apporte un verre d’eau. Il semble être sonné, il regarde dans le vide et ne dit rien. Je reste à côté de lui, je ne veux pas le brusquer, mais je veux m’assurer que tout va bien.
— Comment vous sentez-vous ?
— Ça va, je vais bien, c’est le principal.
Il est sous le choc, mais il me sourit, dévoilant ses dents blanches et parfaitement alignées. Ses lèvres pulpeuses sont légèrement violettes à cause du froid. Sa mâchoire carrée et ses cheveux bruns ébouriffés lui donnent des airs de mannequin de magazine. Je lui rends son sourire, gardant ma position de maître nageuse, mais me sentant légèrement troublée par lui.
— Où est votre serviette, je vais vous la chercher, vous semblez avoir froid.
— Ne vous embêtez pas plus que cela. Je vais bien, je vais aller la récupérer et sortir m’allonger au soleil pour reprendre des forces. Je vous remercie de m’avoir secouru. Vraiment.
En disant cela, il pose sa main sur mon épaule et je sens un frisson parcourir mon corps, de la tête jusqu’au bout de mes orteils…